Raymond Pillon (1889-1977), l’un des hommes les plus étonnants
qu’il m’ait été donné de rencontrer
par Henri Réthoré
Si j’avais bien sûr entendu parler du cordonnier Pillon durant mes vacances d’enfance passées à Chaumont avant la seconde guerre mondiale - ma famille recourait régulièrement à ses services -, c’est en 1950 que j’ai eu la chance de faire réellement sa connaissance.
Alors que je préparais un concours dont la géologie était au programme, j’eus l’idée un soir de lui rendre visite parce qu’on m’avait dit qu’il avait des collections de fossiles,… une façon de rendre un peu concrète une matière pour moi plutôt rébarbative…
Et ce fût le début de rencontres quotidiennes dans son modeste atelier de la rue de l’Hôtel de Ville, rencontres qui se sont longtemps poursuivies.
Remarquablement ponctuel, il arrêtait de travailler à dix huit heures. C’est alors que suspendant mes révisions je le rejoignais pour une bonne heure, toujours accueilli avec une grande gentillesse par son épouse Germaine et par lui. Il restait devant son établi, je m’asseyais près de lui.
Il aimait l’Histoire… et il répondait volontiers, avec compétence, à toutes les questions que je posais sur celle de Chaumont, du canton, de la région ; sur celle aussi dont il avait été un acteur lors de la Grande guerre. Il évoquait spécialement ces mois où agent de liaison ou téléphoniste dans son unité, il était chargé du maintien des communications entre les tranchées de l’avant et l’arrière, c'est-à-dire, sous les bombardements, de la réparation des lignes sans cesse coupées par les obus. De cette époque terrible il semblait surtout garder le beau souvenir de sa jeunesse, celui de la camaraderie du front,… comme celui du ‘’repos du soldat ‘’après les jours de combat. Surtout il m’apparaissait profondément patriote, sans la moindre forfanterie considérant comme un devoir normal, absolu et indiscutable de défendre par les armes sa patrie menacée. Chez lui aucune révolte exprimée contre l’horreur et l’absurdité des guerres, seulement la douleur d’avoir perdu son fils unique, Daniel, lors de la seconde guerre mondiale, mais aussi la fierté de voir son nom inscrit sur le monument aux Morts pour la France de Chaumont.
Cependant son sujet de prédilection, sa passion, c’était la géologie, la paléontologie, et la préhistoire humaine. Il éprouvait aussi un grand intérêt pour l’époque gallo romaine. Autodidacte s’il en fût, après à l’évidence une remarquable formation à l’école primaire, il s’était passionné pour ces disciplines que les richesses en la matière de la région de Chaumont lui avaient permis d’approfondir au point d’acquérir une grande compétence et de faire autorité. C’est ainsi qu’il était devenu correspondant de sommités comme l’abbé Breuil, qu’il avait publié dans des revues savantes et fait des conférences à la Sorbonne ! Tout cela sans chercher à en tirer le moindre avantage matériel.
J’ai été ainsi son ‘’élève’’ et ai eu la chance de m’être fait présenter par lui, avec ses commentaires, ses écrits, ses dessins souvent remarquables, et bien entendu ses collections. Il m’est arrivé aussi à plusieurs reprises de trouver avec lui, et grâce à lui, des fossiles de toutes sortes dans les carrières de craie et en plaine, des outils préhistoriques, des traces d’occupation humaine, des morceaux de poteries gallo romaines etc. Il ‘’sentait’’ les endroits prometteurs, savait utiliser les labours susceptibles d’une année sur l’autre de mettre à jour des richesses préhistoriques, et avait pour les repérer un œil acéré de professionnel. J’ai ainsi passé avec lui des moments très forts, ceux de la découverte au-delà des millénaires de traces de l’histoire de la terre et des hommes.
Raymond Pillon était une personnalité attachante par, son extraordinaire compétence dans des domaines si étrangers à son métier de cordonnier, par cette passion qu’il avait le don de communiquer, mais aussi par l’homme de devoir qu’il était. Je suis fier de l’avoir connu et heureux que ce chaumontois exceptionnel ait été honoré comme il l’a été, après sa mort, et que son souvenir reste vif.